Extraits

Musiciens et danseuses, Perse, 1665?

Le divertissement de la lutte ayant duré une heure on fit retirer les acteurs, & la Cour ayant été couverte aussi-tôt de gros feutres & de beaux tapis par dessus, on fit venir la grande bande de Musiciens, & celle des Danseuses, qui furent plus de deux heures sur la Scene sans ennuyer. Le Gouverneur passa le tems à les voir, & à s’entretenir avec l’Envoyé du Roi, & avec l’assemblée, & particulièrement à me faire conter des nouvelles de l’Europe.

 

   Les Gouverneurs des grandes Provinces ont leur train composé des mêmes sortes d’Officiers que celle du Roi ; ayant, entre autres, leur bande de Musiciens & leur bande de Danseuses. La Danse étant un exercice deshonnête dans l’Orient, on n’y a point l’habitude de danser, soit pour se divertir, soit pour se donner bonne grace ; mais on y a la Danse comme un art, ou comme une profession pour divertir le monde, semblable à la profession du Théatre dans l’Europe : avec cette difference néanmoins, que dans l’Orient, l’art de la Danse est non seulement deshonnête, mais même infame, sur tout à l’égard des femmes, parce que les Danseuses sont aussi constamment femmes publiques.

 

   La Danse n’est exercée dans la Perse que par des femmes, de même que le jeu des instrumens ne l’est guere que par les hommes. Pour ce qui est du chant, les hommes d’ordinaire sont les meilleurs Chanteurs, tirant une grande voix du fond de l’estomach, qu’ils font rouler avec beaucoup de force & beaucoup d’éclat. Les Danseuses chantent aussi ; mais elles ne le font, ni si bien que les hommes, ni si agréablement même. Mais en revanche elles ont une agilité de corps incomparable, faisant des tours & des sauts si legérement, que souvent elles échapent aux yeux, passant en cela les meilleurs Baladins & Danseuses de corde.

 

   Je les ai vû se détordre le corps en plus de postures, que l’on ne fait ces hommes de bois que les peintres apellent manequins : car entr’autres elles se renversent le corps en terre jusqu’à toucher de la tête les talons, & marchent en cette posture sans s’aider des mains. Elles dansent sur une main & sur un genouil en cadence, & elles entremêlent leur Danse de cent tours d’agilité surprenans. Les femmes en Orient portent comme les hommes des Pantalons, qui leur couvrent la cheville du pied ; ainsi quelques tours qu’elles fassent, & de quelque maniére qu’elles portent le corps, on n’en voit rien à découvert que le visage, les mains, & les pieds, lesquels sont toûjours tenus aussi propres que les mains, & sont souvent ornez de bagues comme les mains.

 

   Les Musiciens, & les Danseuses, sont les Mimes ; ou les Comédiens des Orientaux ; ou pour mieux dire, ce sont leurs Opera ; car on n’y fait que chanter des Vers, & la Prose n’entre point dans leurs chants. On ne fait point de fête en Perse & aux Indes sans les y apeller. Les Danseuses sont mandées à tous ces grands festins qu’on apelle Megelez, c’est-à-dire, assemblée, & à toutes les Audiences des Ambassadeurs, sinon la Troupe entiere, au moins les deux tiers; car tour-à-tour, plusieurs sont exemptées de fonction, sous prétexte d’incommodité. Les piéces qu’elles représentent sont toûjours des sujets amoureux.

 

   Les plus nouvelles Actrices ouvrent la Scene, qui commence par la description de l’amour, dont elles dépeignent les apas & l’enchantement & représentent ensuite les passions, & la fureur, ce qu’elles entremêlent d’épisodes, qui contiennent des portraits de beaux garçons & de belles filles, vifs & touchans au delà de ce qui se peut imaginer ; & c’est là d’ordinaire le premier acte. On voit au second la troupe séparée en deux choeurs, représenter l’une les poursuites d’un amant passionné, l’autre les rebuts d’une fiere maîtresse. La troisième contient l’accord des Amans, & c’est là dessus que les Actrices se passent, & qu’elles épuisent la voix & les gestes.

 

   Les Chanteurs & les Joueurs d’Instrumens sont debout aux endroits passionnez & s’aprochent d’elles plus ou moins, quelquefois jusqu’à crier dans leurs oreilles pour les animer, avec quoi elles sont mises comme hors d’elles-mêmes, & transportées ; mais c’est – là aussi, où les yeux & les oreilles, en qui il reste quelque pudeur sont obligez de se détourner, ne pouvant soûtenir ni l’effronterie, ni la lasciveté de ces derniers actes. Cependant cela ne blesse point la vertu Persane, chez qui la continence passe pour un défaut, & même pour un peché ; leur Religion enseignant que les hommes sont obligez de pratiquer l’acte de mariage, dès qu’ils en sont capables. Néanmoins comme parmi ces Actrices, & ces Musiciens, il y a toûjours des gens qui connoissent tout le monde, elles assaisonnent leurs piéces au gout de ceux qui les font venir, ou qui les doivent payer. Mais c’est s’être déja trop étendu sur un tel sujet.

 

   Les Danseuses vont par troupes, comme je l’ai observé. Celle du Roi, par exemple, est de vingt quatre, qui sont les plus fameuses Courtisanes du païs. Elles ont une Superieure, qui est d’ordinaire une des vieilles de la bande, mais sans demeurer pourtant ensemble ; au contraire, elles sont d’ordinaire répanduës dans les quatre coins de la ville. La fonction de cette Superieure est de les assembler, & de les mener où l’on demande la troupe, de prévenir les querelles que la jalousie ou l’intérêt fait naître  entr’elles, ou de les apaiser, de les proteger aux occasions d’insulte, d’avoir l’oeil sur leur conduite, & de les châtier lors qu’elles manquent à observer l’oeconomie de leurs bandes ; ce qui se fait par le foüet, & en cas de recidives, la Superieure les fait casser, & mettre hors de la troupe. Enfin, elle a le soin de leur faire aporter leurs gages, & celui de prendre garde que leurs habits soient riches, leurs meubles propres, & leur train en bon ordre, selon qu’il est reglé dans leur emploi. Le train de ces Danseuses est de deux filles, un laquais, un cuisinier, & un palefrenier, avec deux ou trois chevaux.

 

   Quand elles suivent la Cour, elles en ont quatre de plus pour leur bagage ; car en Orient il faut porter tout avec soi, comme on fait aux armées. Un des chevaux porte deux grands coffres, un autre deux grandes valises, le troisième est pour la cuisine, & le quatrième pour la nourriture & la cure des autres chevaux. Il n’y a point de tente dans leur équipage, parce qu’on leur en fournit, ou de logement, durant leur route. Leur paye est de dix-huit cens francs par an, avec une certaine quantité d’étofes pour leurs habits, & une ration de tout ce qu’il faut pour la nourriture d’eux & de leur train. Il y en a qui ont jusques à neuf cens écus, le Roi haussant leur paye, selon que les personnes lui plaisent ; mais tout cela n’est que la moindre partie de leurs émolumens, y en ayant entr’elles qui emportent quelquefois plus de cinquante pistoles d’un lieu où elle n’aura pas été gardée vingt-quatre heures, tant la débauche est desordonnée en Perse, & jettée dans la profusion. Le Roi leur fait souvent des presens considérables, selon que leur danse, & d’autres attraits, le touchent. Les Grands Seigneurs en font de même.

 

   Je me souviens, qu’étant l’an 1665, en Hircanie, où j’étois aller trouver Abas second, je vis un soir à la Cour deux de ces Danseuses, qui avoient chacune pour plus de dix mille écus de pierreries sur elles ; & comme j’étois dans l’admiration de les voir si superbement parées, elles m’invitèrent de voir leur quartier. J’y fus le lendemain avec mon Interpréte, car je ne sçavois pas encore parler Persan, & avec un Chirurgien François. Leur apartement étoit fort riche & somptueux, & comme les parfums sont la grande volupté des païs chauds, il y en avoit dans tout & par tout chez ces Courtisanes.

 

   Une chose commune entr’elles, c’est de les apeller d’un nom qui marque le prix auquel elles se donnent par visite, la dix tomans, la cinq tomans, la deux tomans. Un toman vaut quinze écus de nôtre monnoye : il n’y en a point qui se donne à moins d’un toman, & quand elles ne le valent plus, on les met hors de la troupe, & on en met une autre à leur place. Cependant, il n’y a presque point de ces femmes, qui se retire riche de cet infame mêtier ; parce qu’elles achettent à leur tour le plaisir qu’elles ont vendu, à quoi elles s’apauvrissent, de maniere qu’il ne leur reste de tout ce gain deshonnête, qu’un repentir de l’acquisition, lequel est plus grand que le regret de l’avoir dissipé. Les troupes des Danseuses des Provinces ne sont d’ordinaire que de sept ou huit filles.

 

   En Perse, les femmes publiques sont plus reconnoissables qu’en païs du monde, quoi qu’elles aillent vétuës & voilées commes les autres. Mais, outre que leur voile est plus court, & moins clos, leur contenance & leur port les fait connoître au premier regard. Leur nombre est pas fort grand dans les Provinces, mais à Ispahan, la ville Capitale, il est excessif. On me disoit, l’année 1666, que j’y étois, qu’il a en avoit quatorze mille d’enregistrées ; car comme elles payent tribut, & font un Corps, qui a son Chef, & les Officiers, on les enregître ; & le tribut que l’on en tire monte à deux cens mille écus. On m’a assuré qu’il y en a une fois autant d’autres qui ne veulent pas être enregîtrées, pour n’être pas connuës, & que les Officiers sont bien aises de n’enregîtrer pas, parce qu’on leur en fait payer beaucoup davantage.

 

   Cependant, quoi que cette abominable profession soit si étenduë, il n’y a pas de païs, je croi, où les femmes se vendent si cherement ; car durant les premieres années de leur débauche, on n’en sçauroit joüir à moins de quinze ou vingt pistoles; ce qui est incomprehensible, quand on considere, qu’en Perse la Religion d’un côté, permet à chacun d’achetter des filles esclaves, & d’avoir autant de Concubines qu’on en veut, ce qui devroit diminuer le prix des femmes publiques ; & que de l’autre, la jeunesse manie peu d’argent, & est mariée d’assez bonne heure. Il en faut attribuer la cause à la luxure de ces païs chauds, dont l’éguillon est plus perçant que dans les autres; & à l’art de ces créatures, qui est une espece d’ensorcellement. On leur attribue avec beaucoup de justice la ruïne des gens d’épée, & de toute la jeune Noblesse qui suit la Cour.

 

   On dit communément dans le païs, que quiconque est épris d’une Courtisane, ne la peut quitter que quand elle le chasse ; ce qui arrive lors qu’elles ont mis leur amant au dernier écu. J’ai vû des gens de bon sens & de probité même, si enfoncez dans ces malheureux engagemens, qu’ils ne croyoient pas possible qu’ils s’en tirassent. Ils disent pour excuse qu’ils sont charmez & ensorcelez, & ils croyent fermement que quand ils s’efforceroient de rompre leurs chaînes, ils n’en pourroient venir à bout, & qu’il n’y a que celle qui les y a mis qui puisse les en délivrer.

 

   On connoît ces esclaves d’Amour à des brûlures qu’ils portent sur le corps, & particulierement aux bras. Ils les font avec un fer rouge, qu’ls se mettent sur la chair si fort, que la brûlure enfonce l’épaisseur d’une piéce de trente sols, ce qu’ils font au tems que leur passion est la plus ardente, pour témoigner à leur Maîtresse, que le feu de leur amour les rend insensibles au feu même Plus on se fait de ces marques, plus on passe pour amoureux. Il y a des gens qui s’en font en tous les endroits du corps, particulierement aux reins.

 

   C’est la coûtume d’envoyer l’argent à ces sortes de femmes en les envoyant querir. Lors que c’est seulement pour les faire danser, on s’adresse à la Superieure, à qui on envoye d’ordinaire deux pistoles pour chacune autant que l’on veut, six, sept, ou huit : & selon qu’elles dansent bien, on leur fait un present de plus. Quand c’est par débauche qu’on en fait venir quelqu’une, il faut lui envoyer son prix reglé. Elle vient à cheval, avec une ou deux servantes, & un laquais, & elle emporte pas-dessus cela du lieu où elle entre tout ce qu’elle peut.

 

   Il me souvient qu’étant en Hircanie, comme je l’ai dit, il y vint un Sultan de la frontiere, (qui est, comme qui diroit chez nous, un Lieutenant de Roi de Province,) lequel ayant ouï parler d’une Courtisane, lui envoya le lendemain deux chevaux, & cinq écus, la priant de venir à son logis. Il pensoit que c’étoit un gros present, mais la Demoiselle lui fit réponse qu’il ne la connoissoit pas, qu’elle ne sortoit point de chez elle à moins de trente écus. Il lui en renvoya dix, on les refusa de même. Il en renvoya quinze, & puis vingt, avec le même succés. Ces refus n’ayant fait qu’irriter son desir, il dit à ses amis, voila une creature qui fait bien la rencherie : il n’y a pas d’aparence de l’aller enlever, nous nous ferions une affaire ; mais il la faut pourtant rendre plus traitable. Sur cela, il lui envoya les dix pistoles. Elle vint, & étant entrée ; le Sultan lui demanda si elle avoit reçû ses dix pistoles. Je les ai données à mes servantes, répondit elle ; car pour moi je ne me donne pas pour si peu. Je suis venue par consideration pour vous. Le Sultan dit, qu’il ne vouloit sinon qu’elle chantât & dansât devant ses amis.

 

   Il la tint dans cet exercice jusqu’à minuit, sans lui donner à boire, ni à manger, quoi qu’ils fissent grand’ chere ; & aprés, il la mena dans un cabinet, où il la tint avec ses amis, tour à tour, jusqu’au jour. Le matin venu elle se croyoit hors d’affaires. Mais le Sultan, ayant fait assembler tous ses gens dans sa sale, depuis son maître d’hôtel, jusqu’au pallefrenier, il y mena la Demoiselle, & lui dit : Ma belle, je suis un pauvre petit Gouverneur, qui n’ai pas moyen de donner dix pistoles pour une nuit ; mes gens feront de part de la dépense, mais il faut aussi qu’ils soient de part du plaisir. Ils la garderent tout le jour & la nuit suivante. Elle fit grand bruit de ce traitement qui pensa causer une grosse affaire au Sultan ; mais comme il vit que la chose se poussoit contre lui, il la conta au Roi avec un tour burlesque, & qui le tira de peine, avec autres dix pistoles qu’il fallut donner pour avoir gardé la Courtisane deux nuits au lieu d’une.

 

   Les Prostituées qui payent tribut, se tiennent dans des Caravanserais dont elles se sont emparées, personne ne voulant demeurer en telle compagnie ; & celles qui n’en payent pas, demeurent dans leurs propres maisons, car on ne sait ce que c’est que de Locataires en Perse, ni de portion de maison, & encore moins de logis garnis. Il y a de plus à Ispahan un Quartier qui en est tout plein, qu’on appelle le Quartier des découvertes, ou Dévoilées.

 

   C’étoit autrefois la coûtume dans cette ville Royale, que dès que le soir étoit venu, ces Prostituées, commes des bandes de Corbeaux, se répandoient dans toute la ville, & sur tout dans les Caravanserais, allant chercher pratique ; & ce qui étoit de plus infame, c’est qu’on prostituoit des garçons de même tout publiquement, les promenant en tous endroits dans un ajustement particulier. Saroutaki, Grand Visir, au commencement du regne d’Abas second, lequel étoit un vieux Eunuque de sens & de courage, interdit par de sevéres loix cette prostitution contre nature ; & après lui, Calife Sultan, qui lui succeda dans la Ministere, & qui fut son Emule, en fit d’autres contre les femmes publiques, qui leur défendoit de se produire d’elles-mêmes, & d’aller nulle part sans y être mandées : & comme il jugea que l’usage du vin étoit la source de ces abominables excès, il défendit d’en vendre sous de sevéres peines, en execution desquelles on vit empaler de ces prostitueurs de garçons; & précipiter du haut d’une tour une femme qui prostituoit ses filles propres, laquelle on fit en suite manger aux chiens. On esperoit alors de voir le païs repurgé, mais il se trouva que les plus sevéres châtimens ne corrigeoient autre chose que le scandale public, & l’effronterie avec laquelle les crimes les plus abominables alloient la tête levée.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Divertissements, Tauris, Perse, 1665?

La place de Tauris est la plus grande place de ville que j’aye vûe au monde ; elle passe de beaucoup celle d’Ispahan. Les Turcs y ont rangé plusieurs fois, trente mille hommes en bataille. Les soirs cette place est remplie du menu peuple, qui vient se divertir aux passe-tems qu’on y donne. Ce sont des jeux, des tours d’adresse, & des boufonneries, comme en font les Saltinbanques, des luttes, des combats de taureaux & de beliers, des recits en vers & en prose, & des dances de Loups. Le peuple de Tauris prend son plus grand divertissement à voir cette dance ; & l’on y améne de cent lieuës loin des loups qui savent bien dancer. Les mieux dressez se vendent jusqu’à cinq cens écus la piéce. Il arrive souvent pour ces loups de grosses émutres qu’on a bien de la peine à apaiser.

 

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   Outre ces Exercices, qui servent de divertissement au peuple Persan, il y a parmi eux des Danseurs de Corde, des Joueurs de Marionnettes, & des Faiseurs de tours de souplesse, aussi adroits & aussi habiles qu’en païs du monde. Leurs Danseurs de Corde dansent à pieds nuds. Ils tendent une corde du haut d’une tour de trente à quarante toises en bas, assez roide. Ils la montent, & puis ils la descendent, ce qu’ils font non pas en se trainant sur le ventre, comme on le fait ailleurs, mais marchant à reculons, se tenant par l’Orteil qu’ils passent dans la corde, qui ne sauroit par consequent être fort grosse. Il est difficile de regarder cela sans frayeur, surtout lors que le Danseur de corde, pour témoigner sa force, & son agilité, porte un enfant sur les épaules, jambes deça, jambes delà, qui le tient par le front.

 

   Ils ne dansent pas sur la corde droite à la maniere des Danseurs de Corde de l’Europe, mais ils y font des sauts & des tours. Leur plus beau tour est celui-ci. On donne au Danseur sur la corde deux bassins creux, comme un plat potager. Il les met sur la corde, le cû des bassins l’un contre l’autre, & s’assied dans celui de dessus, ayant le derriere dans le creux du bassin. Il fait deux tours dessus en avant & en arriere, puis au second tour il fait adroitement tomber le bassin de dessous, & demeure sur celui de dessus, sur lequel il fait encore deux tours & puis il le fait tomber par un grand saut, & il se trouve à cheval sur la Corde. Il y en a qui font tendre une chaine au lieu de corde, & qui dansent dessus.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Danseurs, Ispahan, Perse, 26/05/1667

L’autre bout de la Place, qui est au Septentrion, avoit aussi ses troupes pour le divertissement, & pour la parade. C’étoient des Danseurs de corde, des bandes de Danseuses, des bandes de Valets de pied, préparez à danser : des corps de Bateleurs de cent sortes de Tours ; des Joüeurs de Gobelets : des Escrimeurs : les Marionnettes : & de distance à autre des bandes d’instrumens de Musique de toute sorte. Les bons Chatirs, ou Valets de pied savent tous bien danser & voltiger, sur tout ceux des Grands, & on les fait danser pour se divertir ; car en Orient la Danse est deshonnête, ou infame, si vous voulez, & il n’y a que les femmes publiques qui dansent. Je me souviens là-dessus que durant la minorité du Roi de France il vint un Persan à Paris, que le Roi de Perse avoit envoyé en Europe avec un Marchand François habitué à Ispahan afin de vendre des soyes, & d’aporter des Marchandises curieuses d’Europe. On faisoit tout voir au Persan, qui ne savoit pas un mot d’aucune langue d’Europe. On le mena entr’autres à un ballet où le Roi dansoit ; & quand S.M. dansa on le lui fit remarquer : & après on lui demanda si le Roi ne dansoit pas bien ? Par le nom de Dieu, répondit-il, c’est un excellent Chatir.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Festins des Persans, Perse, 1667?

Je ne parlerai point ici des Festins des Persans, en ayant décrit plusieurs dans tout le cours de cet Ouvrage ; je dirai seulement que ceux qui se font chez le Roi, sont d’ordinaire à une heure après midi, au lieu que ceux qui se font chez le reste du monde, ne sont qu’à souper. Mais cependant les invitez ne laissent pas de venir dès neuf à dix heures du matin, & d’ordinaire ils s’excusent en entrant d’être venus si tard, en rejettant la faute sur quelque affaire survenuë. C’est que les Festins durent tout le jour en Orient, se passant à prendre du Tabac, à discourir, à dormir après le dîner, à prier Dieu ensemble, à lire, ou à ouir lire, à reciter des vers, & à entendre de belles voix qui chantent, en une maniére de plein chant, les actions des anciens Rois de Perse dans des Poëmes heroïques, comme celui d’Homere.

 

   Les gens graves s’en tiennent-là, & ne donnent pas d’autre divertissement : mais les Cavaliers, & gens d’épée, font venir des bandes de Danseuses, qui représentent en dansant & en chantant des maniéres d’Opera, où tout tend à exciter à l’amour, & où, vers la fin, on représente les plaisirs de l’amour d’une maniére beaucoup trop libre. Ces Baladines sont des Courtisanes, qui font ce qu’on veut pour de l’argent. Chacune méne sa servante avec elle ; & celles qui ne sont pas en état d’être touchées, à cause de ce qui arrive aux femmes tous les mois, portent un calleçon de taffetas noir. C’est afin qu’on ne pense pas à elles, & sur tout qu’on ne les touche pas, parce qu’elles sont dans l’état de la souillure légale : & alors on les fait manger à part.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

De la musique, Perse, 1667?

Chapitre VII. De la Musique

 

   Le mot de Musique est Mousiki en Persan, tout comme en Grec, & les Persans connoissent la Musique, comme vous voyez, non seulement entant que partie de la Mathematique, considere les nombres sonores, mais aussi comme art liberal, qui enseigne à manier sa voix, & à toucher des instrumens avec régle & mesure. Ils ont divers Auteurs qui en ont traité, entr’autres un Abou Aloufa, fils de Sahid, dont j’ai aporté le livre avec moi, qui traite de la Musique, pour le chant, & pour les instrumens, dont on joüe avec la bouche & les doigts, qui est la division que l’Auteur en fait ; mais à mon grand regret je n’y entends rien, ayant manqué de lire le livre sur les lieux, avec quelqu’un qui m’en fît entendre le sens.

 

   C’est un petit Ouvrage, qui n’est que de quelques trois heures de lecture. Ce que j’y découvre seulement est que les Persans ont neuf tons, qu’ils ont de tablatures pour le chant & pour les instrumens, beaucoup plus amples que nous n’en avons, & qu’ils aprennent cet Art par une methode, qui a bien des régles, & de bien grandes, & de bien embrouillées, à ce qui me semble. J’en ai donné cinq exemples en la planche suivante. Les figures qui sont marquées A. B. C, sont des premieres du livre, & par conséquent les plus simples. Il y en a trente neuf de la façon d’ A. B. C. & avec des explications dont je n’entens point les termes : celle qui est marquée C, est suivie de trente-cinq autres figures, aussi dans la même methode, & celle marquée D, est suivie de treize, dont la penultième est un cercle une fois plus grand, avec quarante quatre points dans le tour, dont huit sont rouges.

 

   J’ai pensé que les gens Savans en l’Art de la Musique pourroient juger par les seules figures, quelle est la methode Persane pour cette Theorie, en attendant ce que j’en pourrai découvrir avec le tems, s’il plaît à Dieu que j’aye quelque jour le loisir d’y étudier. Outre ces Tablatures il y en a de faites en échiquier, dont les plus grandes sont divisées en trois cens six compartimens, les uns marquez de Notes, les autres blancs. Je trouve en un endroit de ce Traité que l’Auteur dit que la Musique est une ville qui a quarante-deux quartiers, chacun de trente-deux ruës, & à la fin du livre il y a une grande Table en figure de Globe, divisée en quatre cercles coupez par quarante lignes, ce qui fait cent soixante Notes.

 

   Leurs Notes de Musiques ne sont pas des syllabes sans sens & sans signification, mais ce sont, des noms de villes du Païs, ou des noms des parties du corps humain, ou des plus ordinaires choses de la nature ; & quand ils enseignent cet Art, ils disent pour marquer les modes, allez de cette ville à cette-là ou, allez du doigt au coude : les noms des quarante-huit tons divers, sont des noms de ville, à cause, disent-ils, que ces divers tons sont affectez & particuliers en ces villes. Ainsi il y a, comme il me semble, beaucoup d’embarras & de confusion dans leur Theorie ; cela vient sans doute de ce que la Musique est peu en usage chez eux ; car autrement ils la réduiroient en une methode plus courte & plus facile.

 

   Leurs habiles & doctes Musiciens sont tous aux gages du Roi, & ils n’excédent pas le nomdre de dix à douze, à ce qu’on m’a assuré. J’ai donné dans la même Figure joignante un petit Air Persan sur lequel on jugera aussi de la nature de leurs petits Airs. En voici les autres paroles.

Celle qui tient mon coeur m’a dit languissamment, pourquoi êtes vous morne & défait ?

Quelles levres de sucre vous ont mis dans leurs chaînes ?

J’ai pris un miroir, je le lui ai presenté,

En disant, qui est cette beauté qui resplendit dans ce miroir ?

La langueur de vôtre teint est l’ambre qui tire la paille.

Pourquoi vos yeux brûlent-ils ce que vos appas attirent ?

Maudit fois ce compagnon qui se pâme si vîte.

 

Aportez des fleurs odoriferantes, pour faire revenir le coeur à mon Roi.

Leur Chant est clair, ferme & gai, comme on represente le Chant Dorien : ils aiment les voix fortes & hautes, le fredon & les grands roulemens : ils disent que pour bien chanter il faut faire rire & pleurer par l’harmonie de la voix. Perdeh est le terme Persan, qui signifie Air de Chanson, & ils distinguent les Airs par des noms de leurs anciens Rois, & par des noms de Provinces. Ils n’ont pas de Chants à parties, mais ils font chanter les bonnes voix l’une après l’autre.

 

   On chante d’ordinaire chez eux avec le Luth & la Viole : les hommes ont les plus belles voix : mais il n’y en a gueres qui sachent bien chanter par la raison que le Chant, comme la Danse, passent pour deshonnêtes en Perse : l’un & l’autre sont des Arts qu’on ne fait point aprendre à ses enfans, mais qui sont releguez parmi les femmes prostituées & les Baladins ; de maniere que c’est une indécence parmi eux que de chanter, & que l’on se rendroit méprisable en le faisant. Cependant le peuple a une telle pente au chant, qu’en plusieurs professions, ils chantent tout le jour quoi que fort lentement, pour s’animer & s’exciter. Il ne faut pas s’étonner après cela, que la Musique ne soit pas plus débrouillée, & pas plus courte chez eux. Les Persans, comme les Arabes, apellent les Chanteurs Kayné, mot qu’on dit qui vient de Caïn, parce qu’on prétend en Orient que les filles de Caïn inventérent les Chant & la Musique.

 

   Leurs Instrumens de Musique, sont en grand nombre. Ils ont premierement la Timbale, & le Tabourin, dont le fonds est de cuivre ou de laton ; après ils ont le Tambour de basque, dont ils joüent fort adroitement, & une sorte de Tabourin long, qu’ils portent attaché à la ceinture sur le devant, incliné de côté, dont ils touchent les deux bouts avec les mains, une main à un bout, une à l’autre. Ils ont des Timbales de trois pieds de diamettre, & si pesantes que même un chameau ne les peut porter, ils les font trainer sur des charettes : on diroit d’un muid coupé en deux. Après cela ils ont des Cornets droits, qui leur servent de Cors & de Trompettes, qui sont proportionnez à ces Timbales, & qui sont de merveilleusement grands Instrumens : les moindres sont plus longs qu’un homme n’est haut. Il y en a de sept à huit pieds, faits de cuivre ou de laton, d’une grosseur inégale, car le fust est fort étroit à un pied de l’embouchure, d’où il s’élargit vers l’embouchure jusques à deux pouces de diametre, mais le bas est large de près de deux pieds. Le Joüeur de cet Instrument a peine à le tenir élevé, & il plie sous le faix : l’on en entend le bruit fort loin, qui est rude tout seul & sourd, mais mêlé avec d’autres Instrumens, il fait assez bien, servant de Basse. Ceux qui en sonnent le remuënt continuellement pour varier les sons ou pour se délasser.

 

   Outre ces Cors, où l’on mettroit aisément la tête, ils en ont d’autres, faits les uns comme des Cors de chasse, d’autres comme des Clairons. Ils ont après cela le Hautbois, la Flute, le Fifre, le Flageolet, mais il s’en faut beaucoup, qu’on n’en jouënt avec tant d’harmonie qu’il fait chez nous. Ensuite ils ont les Instrumens à corde, Rebec, Harpe, Epinette, Guitarre, Terracorde, Violon, & une maniere de Poche ; le Tamboura, qui est une Coucourde ou Callebasse au bout d’un manche, dont ils se servent comme le Luth, & un autre Instrument qu’ils apellent Kenkeré, dont vous voyez la figure dans la planche joignante marquée F, telle qu’elle est dans mon Livre de Musique Persan.

 

   Vous observerez, que les cordes de leurs Instrumens ne sont pas des cordes à boyau, comme aux nôtres, à cause que chez eux c’est une impureté legale de toucher aux parties mortes des animaux : leurs cordes d’Instrumens sont, ou de soye cruë retorse, ou de fil d’archal. Ils ont après cela cette sorte d’Instrumens, que le Pere Mersenne, dans son Livre des Sons, appelle Cymbale, qui sont deux bassins de laton en timbre, dont on joüe en les frappant l’un contre l’autre, & d’ordinaire c’est en les tenant élevez au dessus de la tête, & les remuant de tous côtez.

 

   Les Danseuses mettent à la main des Os, dont elles se servent, comme les Bohemiennes font des Castagnettes, qui rendent un son clair & fort : je pense que les Castagnettes ont été faites sur ces Os-là. Les Chanteurs en animant les Danseuses s’en servent aussi, & ils savent pareillement faire claquer leurs doigts si fort, qu’on diroit qu’ils ont des Os, ou des Castagnettes à la main. Ils font une maniere de Carillon, avec des porcelaines, ou des coupes d’airain, de diverses grandeurs, rangées par ordre, sur lesquelles on touche avec deux petits bâtons, longs & menus ; cela fait une harmonie plus agréable que le Carillon d’Horloge, & beaucoup plus agitée.

 

   Il en est en Orient des Instrumens de même que de la Musique : c’est aussi une indécence d’en joüer, & d’aprendre à en joüer, & même c’est pire ; car la Religion en proscrit l’usage : les Ecclesiastiques & les gens dévots ne les veulent pas seulement entendre, & c’est la cause que l’Art n’est pas pôli ni avancé comme en nos Païs. Les Joüeurs d’Instrumens sont pauvres en Perse, & mal habillez : il n’y a que ceux que le Roi entretient, qui meritent d’être écoutez. La Bande est assez bonne, on l’apelle les Tchalchi bachi, comme qui diroit, La Troupe capitale des Joüeurs d’Instrumens & Chanteurs : les autres ne savent pas grand’ chose, comme je l’ai observé. Ils vont joüer dans les maisons pour ce qu’on veut leur donner ; & lors que le Roi donne quelque grand emploi à un Seigneur, ou lors qu’on circoncit publiquement un enfant dans quelque grande maison, ils vont joüer à la porte, pour avoir quelque chose.

 

   La Danse en Perse est encore plus deshonnête, & plus contraitre à la Religion que le Chant, & que les Instrumens, car elle est même tout à fait infâme, & ne s’exerce que par les femmes prostituées, & les plus publiques. C’est comme parmi les Romains, qui souffroient cet Art dans les personnes dévoüées à la Turpitude, mais qui le condamnoient dans les autres. Ainsi les hommes ne dansent point : il n’y a que les femmes, mais quand les femmes dansent, il y a toûjours quelques hommes auprès de la principale Actrice, l’animant de son chant, & quelquefois de ses gestes. La Danse Persane, comme par tout l’Orient, est une representation : il y a des endroits Comiques & enjoüez, & il y en a d’autres en plus grand nombre graves & recueuillis : les Passions y sont representées dans toute leur force, mais ce qu’il y a de détestable, sont les postures lascives & deshonnêtes à voir, les joüissances & les impuissances dont ces representations sont pleines, & où ils réûssissent d’une maniere fort oposée à la vertu ; car il ne se peut rien concevoir de plus touchant.

 

   Une danse dure quelquefois trois à quatre heures sans finir ; l’Heroïne en fait seule les principaux actes, les autres au nombre de quatre à cinq se joignent à elle de tems en tems. D’ordinaire après la danse, les Femmes & les Musiciens, se mettent à faire les sauts perilleux. Ces gens-là ne representent point dans un lieu exprès pour le public, comme nos Comediens, mais on les fait venir chez soi, & outre le present de celui qui les mande, c’est la coûtume qu’à la fin de la danse, une vieille qui est comme la Mere de la bande, ou la principale actrice, va tendre la main à tous ceux de l’assemblée pour avoir quelque chose. Comme ces filles gagnent bien plus à se prostituer qu’à danser, elles s’éforcent de toucher les gens, & elles sont fort aises, qu’on leur donne assignation, ou qu’on les tire dans un cabinet, chose qui a le même air parmi ces peuples-là que chez nous de se lever de table, & d’aller au Buffet boire un coup de vin, quand on est en débauche.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Fêtes dans la Cour du Roi, Perse, 1667?

Dans la Sale de dessous sont assis des Sultans & d’autres Gouverneurs de Places, le Daroga, ou Gouverneur de la ville d’Ispahan, des Colonels, des gens éminens en dignitez, Seenliers, & Ecclesiastiques ; & sur les aîles, c’est-à-dire derriere eux, on voit une foule de jeunes Courtisans, tous gens de qualité, & enfans de Seigneurs, qui sont déja à la playe du Roi, & qui sont-là debout dans la contenance la plus respectueuse du monde, & la plus craintive. Il y en a de même dans la Sale d’enhaut, & il faut observer que dans l’une & dans l’autre, il n’entre que ceux qui sont à la paye du Roi. Dans la Sale d’enbas sont assis les Officiers de moindre rang, & tout au bout, en face du Trône, on place les Danseuses, & les instrumens de Musique. Au milieu de cette Sale d’enbas, on voit debout les Maitres des Céremonies, les Huissiers, les Portiers, & les autres Domestiques du Palais, chacun renant à la main le bâton qui est la marque de son office.

 

   Il fait fort beau voir cette Cour aussi nombreuse, & aussi pompeuse qu’elle est, sur tout les jours des Fêtes solemnelles, que les Grands ont sur la tête le bonnet qu’on apelle Tage, qui est une maniere de couronne, lequel est paré d’aigrettes, de plumes de Heron, & tout couvert de pierreries, dont il y en a qui valent deux à trois mille francs.

 

   Lors que le Roi est entré, & après le signal qu’il en donne, la Musique commence, & les Danseuses suivent, puis on sert devant chacun l’avant repas, (comme parlent les Italiens,) sur des Napes de brocard d’or. Il consiste en un service de quinze ou seize assiettes d’or & de porcelaine entremêlées, pleines de fruits verts & secs, sélon la saison, de confitures seches & liquides, de dragées, de massepains & de macarons, pendant ce tems-là, la Musique joüe toûjours, au lieu que les Danseuses font des pauses, dansant ou dans le bas étage, ou dans le second, selon qu’il plaît le plus au Roi ; quand on sert du vin au Festin, le Roi en boit le premier, & en envoye à l’assemblée, commençant d’ordinaire par les Ambassadeurs, lors qu’il y en a au Festin ; & alors, les Cedres, ou Pontifes, & les autres gens d’Eglise se retirent, parce que le vin étant défendu, ils commettroient un peché de s’arrêter dans un lieu où l’on en boit, & quelquefois même ils se retirent aussi tôt que la symphonie joüe ; parce que les instrumens sont défendus par la Loi Mahometane, mais non la Musique, ni la danse.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Une débauche, Perse, 1664-1667

Il couroit depuis cinq ou six jours un bruit confus dans Ispahan de la disgrace du premier Ministre. Ce bruit étoit faux. Le commencement du mois de Mars découvrit comment il avoit été répandu, & c’étoit assez plaisamment. Le Frere du Grand Maître d’hôtel, & d’autres jeunes gens de la Cour firent une grande débauche à sa maison. Ils avoient les Danseuses, & les Musiciens du Roi, & des vins de toutes sortes, & des plus forts. Les Persans ne sauroient boire sans s’enyvrer, ils ne boivent même que pour cela;  & dès qu’un vin n’entête pas au quatrième verre, ils n’en font point de cas, & le rebutent avec ces mots, Keifnemi deed, c’est-à dire, il ne donne point d’yvresse.

 

   La débauche duroit encore le lendemain à huit heures, quand on leur vint dire que le Roi étoit sorti. Cela veut dire qu’il étoit venu du Serrail en un des appartemens où il paroît en public. Les Musiciens coururent aussi-tôt au Palais, afin d’être prêts si le Roi les demandoit. Les Danseuses voulurent faire de même : on les retint. Le maître du logis en tenoit une en particulier, qui ne pouvant se faire congedier, se leva, sous prétexte de quelque besoin, & s’enfuit. Lui qui ne la vit pas revenir aussi-tôt qu’il vouloit, se défia du tour. Il court la chercher. Il la trouva à la porte du logis, frapant & heurtant, pour la faire ouvrir, & menaçant du couroux du Roi. Il la voulut ramener, mais elle qui étoit yvre tout comme lui, continua de menacer & de jetter des cris. Le jeune Gentilhomme, à qui le vin ôtoit la connoissance, aussi bien que la raison, emporté de sa brutalité, tire un poignard du côté d’un de ses domestiques, & la jetta morte de plusieurs coups. Les conviez accoururent aux cris. Le sang les étonna & les confondit. Ils se crurent tous perdus. Ils avoient raison de craindre, ayant à faire à un maître cruel & furieux, comme est le Roi. On conseilla au coupable de se jetter dans l’Alicapi. On apelle de ce nom, qui signifie Porte d’Ali, le grand Portail du Palais Roïal.

 

   C’est un azile pour toutes sortes de criminels. Il n’y a que le Roi seul qui en puisse tirer, encore faut-il que ce soit pour meurtre. Le Grand Maître qui fut d’abord informé de la chose, lui envoya dire de s’enfuir à Com, dans la celebre Mosquée, où les deux Rois derniers morts sont enterrez, qui est un azile encore plus sacré. Il aprehendoit que le Roi regretant la Danseuse, ne punit sa mort sans remission. Cependant le fugitif s’étant équipé en Courier du Roi, débita pour cause de son voyage, qu’il étoit envoyé à Ispahan ; pour faire savoir aux Magistrats, que le premier Ministre étoit disgracié. Quand des Gens de la Cour vont seuls en poste, ils prennent garde qu’on ne les soupçonne de s’enfuir; autrement les Gerdes des chemins les arrêteroient.

Chardin, : Voyages de Mr le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient. Amsterdam, Jean Louis de Lorme, 1711.

Jeune danseur professionnel, Koméin, Perse, 11/12/1807

La meilleure manière de voyager en Perse, lorsqu’on n’est point curieux d’examiner le pays, est de le faire à ses frais, en se mettant à la suite d’une caravane. Le voyage est plus pénible, à la vérité, parce que les caravanes marchent presque toujours la nuit; mais on est sûr alors de ne point dépendre des caprices de gens qui, en vous accablant de politesses, ne sont jamais disposés à vous servir et à vous donner ce que vous leur demandez, pas même ce dont vous avez le plus de besoin.

 

   Pour dissiper notre mauvaise humeur, le mihmandâr voulut nous divertir à nos dépens. Il mous amena un danseur. Ce baladin, âgé de quatorze à quinze ans, d’une jolie figure, dansa devant nous en jouant des castagnettes au son d’une musique bruyante. Il nous étonna par la quantité de pirouettes qu’il fit sur lui-même sans s’arrêter; j’en comptai jusqu’à cent. Ce divertissement, et plus encore le danseur, plaisaient à notre cynique. Mais il n’en jouit pas long temps. Nous congédiâmes les musiciens et le saltimbanque, pour nous livrer aux douceurs du repos.

Dupré, Adrien: Voyage en Perse, fait dans les années 1807, 1808 et 1809… Paris, Dentu, 1819, 2 volumes.

Musique et danse en général, Perse, 1807-1809

Il serait difficile d’établir une comparaison entre la musique des Turcs et celle des Persans. L’une et l’autre sont détestables. On en attendrait en vain ces sons mélodieux qui vont toucher l’âme, et font naître les plus douces sensations. Ce ne sont que des cris aigus, que rendent encore plus désagréables les grimaces horribles du chanteur qui, pour donner plus d’essor à sa voix, se bouche les oreilles. Combien de fois ai-je désiré de n’avoir plus le miennes, lorsqu’elles étaient frappées malgré moi de ces hurlements. Les Persans chantent tous à l’unisson, accompagnés de mauvais instrumens, par exemple, d’un théorbe.

 

   La danse suit ordinairement ces détonations.  Elle est exécutée dans les harems par les femmes, et en public par les enfants de quatorze à quinze ans, qui s’adonnent à cet état, et servent en même temps au libertinage le plus désordonné. Quoique le prophète ait défendu la danse et la musique, l’alliance de la religion et de la volupté s’est faite chez les Persans et chez les Turcs. Et là aussi, comme ailleurs, il est avec le ciel des accommodemens. Le roi a ses danseurs et ses danseuses;  les seigneurs en ont aussi, et les simples particuliers en font venir dans les fêtes qu’ils donnent. L’art de ces saltimbanques consiste le plus souvent dans des tours de force. J’ai vu un enfant tourner deux cents fois sur lui-même sans s’arrêter. Ceux qui prennent les positions les plus obscènes sont sûrs de plaire d’avantage aux spectateurs.

Dupré, Adrien: Voyage en Perse, fait dans les années 1807, 1808 et 1809… Paris, Dentu, 1819, 2 volumes.

Dans le harem, Perse, 1807-1809

Les Persans et les Turcs, de même que tous les autres Asiatiques, ne connaissent point ce doux sentiment de l’amour qui fait le suprême bonheur de l’homme civilisé. Ils sont sans cesse dominés par la jalousie; mais elle n’est chez eux que l’effet de la défiance et l’idée qu’ils se font de leur supériorité. La plupart regardent les femmes comme des esclaves tributaires de leurs désirs, de leurs caprices, et destinées à perpétuer leur race. Le mépris a produit la défiance, la défiance entretient la jalousie.  Elles ne peuvent pas sortir sans être entièrement voilées. Logées dans un appartement isolé connu sous le nom de harem, et que nous appelons improprement sérail (Sérail ou plutôt seraï, doit se dire non pas d’une partie du harem ou du harem, mais du palais entier.

 

   L’hôtel d’un grand seigneur, qui n’a point d’appartement de femmes, ne s’en appelle pas moins seraï. Le harem répond au gynécée des anciens Grecs), elles y reçoivent leurs amies intimes, et quelquefois se passent pendant plusieurs jours de leur mari, à qui elles envoient alors à manger dans le salon. La promenade, le bain, les musiciens, les danseurs et des jeux sont les plaisirs que les femmes d’Orient, réunies entr’elles, se procurent pour employer leur temps d’une manière agréable.

Dupré, Adrien: Voyage en Perse, fait dans les années 1807, 1808 et 1809… Paris, Dentu, 1819, 2 volumes.

Ronde de petites filles, village désolé de Dehbid, Iran, 06/05/1900

 Le muezzin jette ses longs appels chantés. Les oiseaux, cessant de tournoyer, se couchent dans les branches de quelques peupliers rabougris, qui sont les seuls arbres à bien des lieues alentour. Et des petites filles d’une douzaine d’années se mettent à danser en rond, comme celles de chez nous les soirs de mai ; petites beautés persanes que l’on voilera bientôt, petites fleurs d’oasis destinées à se faner dans ce village perdu. Elles dansent, elles chantent ; tant que dure le transparent crépuscule, elles continuent leur ronde, et leur gaieté détonne, dans l’âpre tristesse de Dehbid…

Pierre Loti

Le harem du pacha de Widdin

Le harem n’était pas tout-à-fait meublé comme le salon du pacha : les divans me parurent beaucoup plus bas; ils étaient tous vides, à l’exception d’un seul où se tenaient accroupies et immobiles sur deux rangs les danseuses ordinaires de la maison; car on a en Turquie des danseuses tout comme on a un frotteur à Londres [Note du Rédacteur. Nous soupçonnons fort l’aimable voyageuse d’avoir ici donné cours à son imagination. Aucun Turc qui se respecte ne permet à des danseuses de profession de pénétrer dans son harem. Voyez le Voyage en Syrie de G. Robinson. Mais il est vrai que le pacha de Widdin est novateur].

 

   Les bayadères de Hussein étaient jeunes, petites, gaies, vêtues de basquines or et argent comme les bohémiennes qui sautent le fandango dans les carrefours de Madrid, mais pieds nus, avec de larges pantalons, et les paupières teintes en noir; ce cercle livide décrit autour des yeux donnait à leurs figures une étrangeté dont l’expression devait s’étendre à leurs danses. Je ne me trompais pas. L’eunuque nous pria de nous asseoir, et le bal commença.

 

   Qu’on me permette ici une remarque sur les idées généralement très-fausses qu’on se fait en Europe des bayadères de l’Orient. Le bruit court à Londres que les Parisiens ont reçu une cargaison de cette denrée en fort bon état, en dépit des assurances maritimes : cela est impossible. La vraie bayadère, la nautch du Gange, la biondetta de l’Equateur, ne s’éloigne jamais des climats où elle règne par la pirouette locale et le flic-flac indigène. Quand le temple de Sunnat fut détruit en 1022 par le grand Mahmoud, les prêtresses du sanctuaire se dispersèrent dans le monde indien ; les bayadères descendent en droite ligne de ces nonnes tout-à-coup rendues à la société.

 

   C’est une filiation qu’il faut attester, comme en Angleterre le blason d’un cheval et la postérité d’une levrette. Où est l’apparence que de si rares merveilles se soient égarées en route au point d’aborder dans la Gaule et dans Albion ? La bayadère pur-sang est la houri presque introuvable, que les officiers de l’armée britannique assez heureux pour gagner des hépatites chroniques au service de la reine Victoria dans l’Inde ont seuls la chance d’apercevoir une fois dans leur promenade orientale et en risquant leur vie ; la houri qu’un chant populaire à Singapour nomme gazel, et qui est peinte si élegamment dans ce poème d’Hafiz par la chan¬son dont voici le premier vers ou le refrain :

Taza-be-taza, no-be-no, etc., etc.,

et qu’on peut traduire en anglais par

Minstrel, haste, pour forth a lay,

Ever fresh and ever gay, etc., etc.

“Fille de la musique, danse-nous vite ta chanson, toujours nouvelle et toujours gaie, etc., etc.”

 

   La houri enfin, que le même élégiaque persan, Hafiz, appelle Djama, et qui badine gracieusement avec le fantastique miroir en airain poli dont il nous apprend le galant usage pair cette strophe :

He, with salute of deference due,

A lotus to his forehead press’d ;

She raised her mirror to his view,

Then turn’d it in inward to her breast.

“Lui, saluant sa maîtresse d’un air respectueux, se presse légèrement le front avec une fleur de lotus ; elle, portant le miroir devant les yeux de son amant, le retourne en le serrant contre son cœur.”

 

   Moyen de conversation silencieux très-commode quand il s’agit de tromper les regards d’un tuteur comme Bartholo ou d’un rajah plus susceptible que Hussein. Ces deux gestes charmans suffisent pour que les amans s’entendent, quoique leur bouche reste muette. Je laisse aux femmes romantiques le soin d’apprécier la poésie du rôle que joue le miroir dans cet entretien symbolique.

 

   En 1828, une bayadère de Shiraz, appelée Touti, fut élevée, du rang le plus humble parmi les danseuses des rues, à la première place dans le sérail du roi de Perse. Touti est le nom d’un perroquet pour lequel les Hindous ont une profonde estime, et qui occupe toujours un emploi fatidique dans leurs romans de mœurs. La chronique rapporte qu’un grand monarque arménien entretenait dans le corps d’un Touti un esprit très-amusant, qui, sous cet habit loquace, venait lui conter des histoires pour charmer les ennuis du trône.

 

   Cet esprit, ou vetala, n’avait point paru à la cour de Perse depuis long-temps, sans doute parce que la couronne est aujourd’hui fort douce à porter dans ce royaume ; il plut au monarque régnant de le retrouver dans la personne de la jolie nautch dont nous parlons, et comme les souverains de la Perse sont encore absolus, malgré les Russes et malgré les Anglais, la fantaisie du roi fut imposée à la nation. Touti régna dans ces derniers temps à Shiraz. La Taglioni de l’Orient fut pour ce prince “un océan où tous les fleuves de la pensée se précipitaient; les empires de l’Inde et de la Chine ne valaient pas un éclair de ses yeux ; l’ondoyant cyprès imitait seul l’élégance de sa taille; les fleurs du Nagacesera, les plus belles du Tropique, qui ornent le carquois de Camadéva, étaient moins belles que le duvet de ses joues ; elle était formée par les mains du Créateur avec la terre du paradis et l’eau d’immortalité ; ses embrassemens ressemblaient aux caresses qu’un rayon lunaire prodigue au nuage sur lequel il s’endort, etc., etc…”

 

   Telles étaient les expressions emphatiques du Karaïte, en me donnant ces détails avec un feu que je m’étonnais de rencontrer dans un juif si ferré sur le Talmud. C’était pour moi une façon très-agréable de me distraire en attendant que les épouses du pacha eussent quitté leur toilette de promenade et mis une parure digne de la réception qu’elles comptaient me faire. Entre femmes, on se pardonne et on comprend ces coquetteries. Le bal continuait sous mes ragards, mais il etait fort pâle et fort insignifiant; on avait l’air de réserver les danses choisies pour l’heure de l’entrevue.

 

   – La divine Touti mourut, ajouta le Karaïte en regardant Mme Lampugnani comme s’il eût cherché des larmes dans nos réponses, la divine Touti mourut, et le chagrin blanchit les cheveux du roi de Perse, qui était un beau brun, dans la première nuit fatale dont cette perte fut suivie. On a élevé à la bayadère un tombeau magnifique aux portes de Shiraz; les ministres ont dû souscrire pour ce monument, comme s’il était d’utilité publique. Les prunelles de Touti, douces comme les yeux de l’antilope, et ses lèvres parfumées comme les feuilles de l’amru, se fermèrent au milieu du deuil et des gémissemens de toute la monarchie. On répéta en son honneur les vers célestes de Feredd-ed-Din Attar, le Lamartine et le Byron de la Perse, et sa délicieuse romance, Gulrohk et Cosru, fut chantée autour du sépulcre, avec accompagnemens sinistres de tamtam et de barbut.

 

   A cette époque, Hussein-pacha était dans l’Anatolie. Un négociant de Tiflis lui vendit le chirk , lyre de Touti, qu’on avait volée au roi de Perse dans les troubles inséparables d’une catastrophe si cruelle, chez un mari amoureux dont les domestiques ne partagent pas la douleur. Vous serez admises bientôt à toucher et même à entendre cette guitare, débris d’une existence si pittoresque et si gracieuse !…

 

   Le Karaïte se tut ; nos petites danseuses venaient d’interrompre leur exercice et de se rapprocher du divan pour qu’on examinât leur costume. C’était le même que portait la belle Touti lorsqu’un nouveau calife de Bagdad, se promenant entre chien et loup dans les rues de Shiraz, prit cette femme parmi les almés de carrefour qui faisaient des ronds de jambe pour les oisifs des caravansérails; on croit lire l’histoire de Mme du Barry et de Louis XV. Mes lectrices comprendront d’ailleurs en quoi la toilette des bayadères de Husein excitait ma curiosité; c’est une affaire de parti. Nous fûmes aidées dans cet examen par le Karaïte, par son ami le secrétaire de la douane, et par une vieille duègne qui se montra tout d’un coup, et que les eunuques nommaient la mère des filles, à peu près une camarera-mayor.

 

   Les couturières de Paris n’auraient pas mis dans cette grave appréciation le jugement dont nous fîmes preuve, et les correctifs qu’il plut à Mme Lampugnani d’indiquer soulevèrent des paroles d’enthousiasme que je regrettais beaucoup de ne pas entendre. Dans ce moment, le noir me pria, par un geste fort naturel, d’ôter mes brodequins. Un petit air de viole résonna dans la chambre. Les femmes de Hussein étaient prêtes à nous recevoir.

Le harem du pacha de Widdin, Revue Britannique 305-309   (Sir Thomas Temple)

Un étrange charivari

La mère des vierges marchait devant la favorite avec un trousseau de clefs à la main. A un signe de Cocila, cette respectable matrone ouvrit un cabinet particulier, dont la porte était dissimulée par une psyché d’assez mauvais goût, et dans lequel étaient pendus les châles consacrés aux bayadères du harem, ainsi que des pantoufles de velours. C’était le préliminaire du bal définitif, dont les premières danses ne nous avaient pas singulièrement diverties; on réservait quelque chose d’imprévu pour le moment des adieux. En effet, Cocila, suivie de ses rivales, de Mme Lampugnani, de tout le cortège des femmes, de moi et du sérail, se dirigea vers le grand salon par lequel nous étions entrées dans le harem. Nous y reprîmes nos places sur les divans ; la musique ne tarda pas à charmer nos oreilles. Je crois qu’il serait difficile d’imaginer un plus étrange charivari.

 

   L’orchestre se composait de six jeunes filles, accroupies en rond sur un sopha et chantant un lai plaintif, accompagnées de tambourins et dandinant en même temps leurs corps de droite à gauche, comme se balancent des peupliers agités par le vent. Dans la galerie, à l’entrée du salon, se tenait solennellement la mère, qui distribuait avec gravité aux danseuses les babouches de velours et les châles qu’elles tortillaient sur-le-champ en ceinture autour de leur taille, entrelaçaient dans leur chevelure, ou laissaient flotter sur leurs épaules.

 

   Bientôt les castagnettes retentirent; les doigts brillaient et claquaient dans l’air comme des sonnettes de métal. C’est alors que la Taglioni de la bande, parée d’un habit court et jaune, et d’un pantalon écarlate brodé d’or, l’oeil étincelant de plaisir, s’avança devant nous en exécutant différentes poses où le corps faisait plus de frais que les pieds [Ces mots soulignés se trouvent en français dans l’original]. Elle fut rejointe par deux de ses compagnes, et toutes les trois, se guidant sur les chants de l’orchestre et sur le son du tambourin, dansèrent un pas qui n’était, à peu de chose près, que le fandango.

 

   A chaque nouveau sujet qui venait rejoindre les jeunes filles entraînées déjà par la musique, leur extase semblait augmenter. Je partage entièrement l’opinion de lady Mary Wortley Montague ; rien de plus gracieux que ces ballets, et il est faux que le spectacle en soit indécent pour une femme. Tandis que le crescendo des tambourins ravissait les nymphes de Cocila, l’eunuque noir parut, et nous avertit que le steamer se préparait à continuer sa route. Aussitôt les danses furent interrompues, les femmes de Hussein nous entourèrent avec les marques les plus vives de regrets, et notre costume obtint le dernier hommage.

Revue Britannique p. 315-316 (Sir Thomas Temple)